Débarquement à Saint-Côme-du-Mont

L’histoire orale familiale est composée de bribes d’informations comme un jeu incomplet de pièces de puzzle.

On ne réussit à reconstituer le puzzle que si l’on parvient à y insérer les petites pièces qu’on avait au début. Si l’on reconstitue le puzzle et qu’il reste des pièces sur le côté, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche.

Par exemple lorsque mon grand-père André Cauderlier m’a parlé de l’arrivée du sien, Léopold Cauderlier, en Normandie en septembre 1851, il m’a dit que la famille avait tout d’abord posé ses valises à Saint-Côme-du-Mont quelque temps avant de s’installer plus durablement rue de l’Eglise à Carentan.

Bien sûr on peut penser qu’ils ont repéré un petit AirBnB sympa où ils ont choisi de s’acclimater à la fraicheur vivifiante du bon air normand.

C’est possible mais il me semble plus probable qu’ils ont été accueillis par des gens de confiance, de la famille ou des amis.

Sauf que la mémoire familiale n’a pas retenu, à ma connaissance, de cousins à Saint-Côme-du-Mont.

Succession Desmezières Le Maréchal, Septembre 1851
Décès de T. Belin page 1

Reprenons l’arbre généalogique que nous avions établi lors d’un article précédent pour comprendre la succession Desmezières qui provoque le déménagement de nos héros en Normandie. On y trouve un habitant de Saint-Côme-du-Mont, et pas n’importe lequel : c’est Monsieur Thomas Belin, le mari d’Augustine Le Maréchal, qui a été maire de Saint-Côme-du-Mont par deux fois de 1852 à 1878 puis de 1881 à 1884. Semblant de rien ça fait tout de même 29 ans de mandature et de fait, sa profession dans les actes est le plus souvent maire ou ancien maire.

Décès de T. Belin page 2

Sur son acte de décès on précise qu’il a été Président de la Fabrique (qu’est-ce qu’il fabriquait là ? ben il s’occupait des affaires financières de la paroisse et peut-être aussi des sépultures) et aussi président du Syndicat de l’Essiau (Syndicat de quoi ? Ben de l’écoulement des eaux ce qui dans les marais n’était pas une sinécure). Et c’est un homme qui compte à Saint-Côme, c’est même écrit dans wikipédia à la rubrique “Personnalités liées à la commune” de la page sur Saint-Côme-du-Mont sous la forme “Famille Belin (1684 – fin XIXe)” et il a même sa page à lui tout seul dans wikimanche !

Et le pompon c’est qu’à son mariage avec notre cousine Augustine Victoire Henriette Le Maréchal, le 12 juin 1855 à Saint-Côme-du-Mont, l’un des témoins n’est autre que le sous-préfet de Coutances François Plaine, en personne et en toute simplicité.

Tout ça pour dire que Thomas Belin est une personnalité de la vie publique et des activités économiques de droit publique. Par contre on ne trouve pas son nom dans le commerce du sel ou le transport maritime de la famille.

Reste la question : Est-il possible que nos héros aient été hébergés par Thomas Belin à Saint-Côme-du-Mont lors de leur arrivée en Normandie en septembre 1851 ?

P’tet ben qu’oui, …

Le personnage central de cette histoire c’est Augustine Le Maréchal.

Acte de naissance de Augustine Lemaréchal p1

Augustine est la fille ainée de Henry Julien Narcisse Le Maréchal qui est douanier et déjà veuf par deux fois lorsqu’il épouse la maman d’Augustine, Victoire Trésor, qui fait partie d’une famille de marins de Saint-Vaast La Hougue. Des marins qui s’appellent Trésor ça laisse rêveur.

Augustine naît le 17 octobre 1833 chez ses parents à Osmanville, un village tout proche d’Isigny ou son père est douanier, non loin Carentan. On constate que c’est son oncle par alliance Casimir Auguste Desmezières de Carentan, qui déclare la naissance de sa nièce à la mairie.

Acte de naissance de Augustine Lemaréchal p2

Je n’ai pas accès au registre des baptêmes mais je ne serais pas surpris qu’Auguste soit le parrain de la petite Augustine.

Les parents d’Augustine sont assez pauvres, l’oncle Casimir Auguste lui est déjà, ou va bientôt devenir, assez riche. Il est marié à Léonore, la soeur d’Henry depuis 20 ans et ils n’ont pas d’enfant.

Augustine aura trois petits frères Auguste, Louis et Edouard nés respectivement vers 1837, 1839 et 1846. A ce jour je n’ai pas retrouvé les actes de naissance ( ni de décès d’ailleurs ) des trois frères d’Augustine. J’en déduis qu’ils sont nés dans une commune où la famille est passée entre Osmanville (naissance d’Augustine en 1833) et Saint-Vaast La Hougue (recensement de 1846 ci-dessous).

Recensement de la population 1846 Saint-Vaast-La-Hougue, Rue Gautier

En effet en 1846 la petite famille est installée à Saint-Vaast-la-Hougue, le berceau de la famille de la maman (qu’Henry appelait sûrement son petit Trésor).

Les deux plus grands des garçons sont bien là, ils ont 7 et 5 ans alors que le petit Edouard n’est pas encore né. Il naitra en juillet de cette année 1846.

Le père qui est identifié dans ce recensement par son troisième prénom (Narcisse) n’a plus non plus le même métier : il était douanier, il est maintenant épicier. A 56 ans serait-il déjà en retraite de la Douane ?

Ce qui est sûr c’est qu’Augustine qui a 13 ans en 1846, n’habite pas chez ses parents. Alors soit elle est en pension quelque part, soit elle habite déjà chez ses oncle et tante Desmezières à Carentan.

Ce que l’on sait de ses petits frères c’est qu’Auguste et Louis seront marins, et que le jeune Edouard est sans doute handicapé.

Il n’est pas absurde de penser qu’Augustine devenue ado se soit rapprochée de son oncle et de sa tante Desmezières de Carentan qui étaient sans doute en mal d’enfant et qui ont aussi pu avoir besoin d’assistance dans les dernières années de leurs vies.

En 1851, sa tante puis son oncle décèdent alors qu’Augustine n’a pas encore 18 ans, et il semble qu’ils la couchent sur leurs testaments car on retrouve une Augustine Le Maréchal comme héritière et nous ne connaissons pas d’autre Augustine. Pourtant son père est aussi héritier. Cette bizarrerie nous avait déjà interpellé dans l’article précédent mais il faudra retrouver le testament pour avoir des certitudes.

Liste des héritiers des époux Desmezières en 1851

En attendant, si l’Augustine du document ci-dessus est bien la future madame Belin, alors elle y est notée comme habitante de Carentan et non de St Vaast comme son père Henry.

Et si une relation affective privilégiée unissait les époux Desmezière à Augustine au point qu’elle vivait chez eux en 1851 cela expliquerait aussi :

Le Lieu Saint Jean, La Basse Addeville, Saint-Côme-du-Mont
  • que la maison de la rue de l’église à Carentan ne soit pas disponible, Augustine y réside sans doute encore;
  • qu’Augustine ait connu en voisine son futur mari Thomas Belin, Saint-Côme-du-Mont étant tout près de Carentan;
  • que Thomas Belin ait pu offrir l’hospitalité à ses futurs cousins par alliance à leur débarquement en Normandie,
  • et qu’Augustine et Thomas se soient mariés à Saint-Côme c’est à dire dans la commune de l’époux et non de l’épouse comme il est de tradition lorsque les époux habitent réellement chez leurs parents respectifs.

… P’tet ben qu’non.

mais en septembre 1851 nous sommes encore 4 ans avant le mariage de Thomas et d’Augustine. Elle n’a pas encore 18 ans, et Thomas, qui lui a 25 ans de plus, ne semble pas impliqué dans les affaires des Desmezières.

Plaque de cheminée
au lieu St-Jean marquée
Jacques François Belin
le père de Thomas Belin

Pourquoi alors se serait-il préoccupé de l’arrivée des Cauderlier ?

Peut-être tout simplement par défaut parce qu’il n’y a personne de la famille sur place sauf la très jeune Augustine et ses amis au nombre desquels Thomas fait peut-être déjà partie.

Rien de sûr donc sauf l’adresse où Thomas Belin et Augustine vont s’installer, vivre et mourir. Plusieurs actes nous précisent qu’ils habitent au “Lieu Saint-Jean”, hameau de La Basse Addeville (ou Appeville) à Saint-Côme-du-Mont.

Miroir et moulures
de la chambre d’Augustine
au lieu Saint-Jean
à Saint-Côme-du-Mont

C’est là que naîtra leur fils Georges le 13 mars 1873 et là qu’il décèdera à l’âge de 13 ans.

C’est là aussi qu’est décédé un an plus tard Thomas Belin le 4 mars 1887.

Augustine leur survivra plus de 20 ans. Et au lieu Saint-Jean il existe encore une pièce au rez-de-chaussée derrière la cuisine qu’on dit avoir été transformée en chambre dans un style néo-classique au début du 20ième siècle et ou vivait une vieille dame entourée de plusieurs chats or Augustine est décédée au Lieu Saint-Jean en 1908.

La tombe de Thomas Belin, Augustine née Lemaréchal et leur fils Georges à Saint-Côme du Mont

Thomas, Augustine et leur fils Georges auront la chance assez exceptionnelle que leur tombe soit protégée par la Conservation départementale des antiquités et objets d’art de la Manche.

Quant-au Lieu Saint-Jean, il est aujourd’hui un domaine comprenant un gîte pour les voyageurs et un havre de paix pour les chevaux. On peut remercier Cécile Graton, son actuelle propriétaire, d’avoir redonné à cette maison son nom historique, et de nous avoir offert le privilège de la visiter.

Car c’est peut-être bien la toute première adresse des Cauderlier en Normandie.

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