Le testament de Casimir Auguste César Desmezières

Bingo !

Testament de Casimir Auguste César Desmezières page de couverture

Cette fois on le tient, le précieux document pieusement conservé aux archives de la Manche, qui nous explique par le menu comment l’histoire de nos héros Henri Cauderlier et Stéphanie Auquier va être bouleversée par un héritage les faisant brutalement passer de Nordistes à Normands, de charron à négociant en sel, de paysans à bourgeois.

Ce document, c’est le testament de Casimir Auguste César Desmezières.

La scène

Carentan, Rue de l’église, numéros pairs

La scène est palpable : nous sommes chez Casimir Auguste Desmezières, rue de l’église à Carentan, nous sommes “dans la salle donnant sur la cour” dit l’acte qui nous précise que Casimir Auguste est assis sur un lit.

Nous sommes le 17 juillet 1851, il est 11 heures et demi du soir, et nous sommes 6 dans cette pièce, Casimir Auguste, le notaire Napoléon Adolphe Lenoël (des mauvaises langues prétendent que ses parents avaient envie d’un enfant tyrannique 😉 ) et les quatre témoins qui sont des notables de Carentan et que je n’ai pu m’empêcher de retracer un peu. On trouve donc :

Légion d’Honneur
de François Leriteau
  • Léonard Desrez, propriétaire et accessoirement marchand de fer, originaire de Périers, âgé de 67 ans et qui a eu de nombreux enfants. Il est probablement de la famille des 2 autres Desrez de Périers que nous connaissons déjà, Léonie Desrez qui épousera Henri Guilain Cauderlier le fils ainé de notre héros Henri Cordelier, et son frère Jules Desrez un photographe engagé politiquement qui, à l’occasion, mériterait qu’on parlât un peu de lui ici-même ;
  • Paul Philippe Léon Gascoin, 37 ans, qui était blâtier (c’est à dire marchand de grains) à son mariage à Carentan 10 ans avant avec Rose Aimée Vaultier qui elle était épicière. Bon maintenant c’est lui qui est épicier. On leur connait un fils nommé Raoul Amarius Camille qui perdra la vie à la guerre de 1870 ;
  • François Leriteau, qui est originaire de Vendée. Il est chevalier de la Légion d’Honneur de par ses faits d’armes car il est militaire en retraite des armées napoléoniennes, vu que lui aussi a 67 ans. Et il n’a pas été chanceux avec les femmes : sa première épouse Marie Madeleine de Kermarin est décédée à Carentan en 1835, sa seconde Louise Avoine qu’il a marié à Carentan en 1837 nous a quittés avant qu’il se remarie, à Carentan toujours, avec Virgine Aimable Souchet le 4 août 1846 (il y a tout juste 175 ans aujourd’hui !). Bref c’est un homme “épinglé” et un Carentenais de vieille souche … par ses femmes.
  • Thomas Briard, est sans doute le moins notable des 4, et c’est peut-être pour çà qu’il est nommé en quatrième position parmis les témoins. Il est natif du coin, d’Auvers et il était jardinier il y a 21 ans lorsqu’il a épousé à Carentan le 14 juillet 1830, Louise Marie Henry. Il a maintenant 60 ans et il semble qu’il soit marin.

Casimir Auguste lui aussi a 60 ans et il dirige un commerce de sel en gros qui est semble-t-il établi chez lui dans sa cour. Il possède aussi une ferme avec des terres à Carentan et quelques autres terres dans les environs. Enfin il s’intéresse peut-être à un nouveau business, le commerce trans-Manche qui a commencé en janvier de cette année 1851 par l’ouverture d’une ligne maritime par vapeur entre Carentan et Londres.

Sa fortune n’est pas considérable mais elle peut suffire à assurer l’avenir des quelques personnes qu’il a choisi d’aider, et tout le monde sait que ce qui va être écrit ce soir sera déterminant pour l’avenir des personnes concernées et pour celui de leurs descendants.

Aussi, rien de ce qui va être écrit n’est laissé au hasard, et même si ce testament n’est dicté que quelques jours avant sa mort (Casimir Auguste décèdera dans 3 jours le 20 juillet) on peut imaginer qu’il n’a cessé d’y penser depuis des années sans doute et plus intensément encore depuis qu’il a perdu sa femme Léonore Le Maréchal en février dernier (je veux dire en février 1851 bien sûr). Et on peut même penser que ce testament est le fruit d’un long travail personnel consistant à organiser au mieux non pas seulement sa succession mais la vie de ses proches après sa succession. Et en cela c’est assez remarquable.

Petits rappels

Pour ceux qui les auraient ratés voici un petit rappel des deux épisodes précédents.

Tout d’abord nous avons découvert et raconté ici que le fameux héritage qui a provoqué le grand déménagement de nos héros du Nord en Normandie était celui de Casimir Auguste Desmezières, un oncle maternel par alliance de Henri Cauderlier (ou Cordelier car il a été déclaré à tort ainsi dans son acte de naissance).

Casimir Auguste Desmezières était le mari de Léonore Le Maréchal, la soeur de Justine Sophie Le Maréchal la maman de notre héros Henri Cauderlier.

Petit arbre généalogique relatif à la succession Desmezières – Lemaréchal

Léonore et Justine avaient moins d’un an d’écart d’âge, 364 jours pour être précis mais en ce 17 juillet 1851 elles sont toutes deux décédées. Cependant elles avaient un petit frère Henry Lemaréchal qui lui est bien vivant, qui est marié à Victoire Trésor, habite à Saint-Vaast-La-Hougue et que l’on retrouve tout naturellement comme héritier sur “la table des successions et absences” avec aussi sa fille Augustine Le Maréchal.

Héritiers de Casimir Auguste Desmezières tels qu’ils apparaissent
dans le table des Successions et Absences de Carentan en 1851

En creusant un peu plus, c’est à dire en allant chercher les actes d’état-civil des protagonistes et les recensements de population, on a compris qu’Augustine en ce 17 juillet 1851 a 17 ans et demi, et qu’elle a trois petits frères, mineurs donc, Auguste et Louis qui deviendront marins et le petit Edouard qui est, semble-t-il, handicapé.

Cependant les trois petits frères n’apparaissent pas dans la table des successions et absences. Alors on s’est dit qu’une relation particulière pouvait exister entre Augustine et son oncle et sa tante Desmezières. Lorsqu’en plus on a vu que c’est Casimir Auguste Desmezières qui a déclaré Augustine à la mairie d’Osmonville le jour de sa naissance, on s’est un peu demandé ce qu’il faisait là et on s’est convaincu que cette relation oncle Auguste nièce Augustine était forte et ancienne. Et si on ajoute qu’Augustine est notée habitante de Carentan en 1851 dans la table des successions et absences ci-dessus alors qu’elle est mineure et que ses parents habitent à St-Vaast, on se dit que la petite a peut-être vécu une bonne partie sinon toute sa vie chez son oncle et sa tante Desmezières.

On s’est alors intéressé à la vie d’Augustine ce qui nous a conduit à Saint-Côme-du-Mont dont elle épousera le maire Thomas Belin en 1855 ( 4 ans donc après cette succession ) avec comme témoin le sous-préfet du coin un certain François Dominique Plaine dont on va de nouveau entendre parler comme un personnage clé dans le testament ci-dessous.

On s’est souvenu aussi que l’histoire orale rapporte que les Cauderlier lors de leur déménagement en septembre 1851 sont d’abord passés par St-Côme-du-Mont et cela nous a questionnés sur les relations qui pouvaient pré-exister entre Augustine et Thomas Belin dès 1851 puisque Thomas Belin est le seul Saint-Cômais que nous connaissions.

Transcription du texte principal du testament.

Et à présent place au texte :

Testament de Casimir Auguste César Desmezières page 1

Pardevant Napoléon Adolphe Lenoël, notaire
à Carentan, soussigné

Comparait

Mr Casimir Auguste César Desmezières,
négociant, demeurant à Carentan, rue de
L’église, indisposé de corps, mais sain d’esprit
mémoire & jugement ainsi qu’il est apparu
au notaire soussigné & aux témoins ci après
nommés.

Il a dit :

Premièrement : Je donne et lègue à Augustine
Henriette Françoise Le Maréchal, nièce de feue
ma femme, élevée par moi, fille mineure de
dix-sept ans passés de Henry Le Maréchal
une terre et ferme situés à Carentan
composée de maison, cours jardin légumier
d’un pré & de trois herbages le tout situé
à Carentan triage des Fontaines contenant
ensemble environ sept hectares, ainsi que
j’en acquis le tout de Mr Charles Caillemer
et du Sr Leviautre Labretannière pendant
mon mariage avec feue ma femme de la
quelle je suis légataire universel.

Et une somme de quinze mille francs
à recevoir de mon légataire universel
ci-après nommé
aussitôt
après mon décès.

Deuxièmement : Je donne et lègue à Auguste
Le Maréchal, Louis Le Maréchal & Edouard
Le Maréchal autres enfants mineurs de Henry
Le Maréchal une somme de six mille
francs, deux mille francs à chacun d’eux

Testament de Casimir Auguste César Desmezières page 2

à recevoir aussitôt après ma mort de mon légataire universel.

Je lègue ces sommes aux dits Auguste,
Louis et Edouard Le Maréchal pour être
employées à leur faire apprendre des états.

Je donne &
lègue encore aux
Sr Auguste, Louis
& Edouard Lemaréchal
chacun par tiers
deux rentes, l’une
de deux cent
vingt francs à
moi due par
un individu
habitant Le Bessin
département du
Calvados & l’autre
de trente cinq
francs à moi
due par les époux
Le Maréchal.

Troisièmement : Je nomme pour administrateur
de l’importance des legs ci-dessus Mr Plaine
sous-préfet de l’arrondissement de Coutances
que je prie d’accepter cette mission.

Si Augustine Henriette Françoise
Le Maréchal venait à habiter avec son
père & sa mère, elle ne leur paierait qu’une
pension égale à celle qu’elle paierait dans
un couvent.

Mr Plaine administrera l’importance
de ces legs comme il jugera à propos; &
comme il aura des capitaux à placer, je
m’en rapporte à lui pour faire ces placements,
mais j’entends formellement le dispenser de
toute responsabilité sur la solvabilité
des emprunteurs.

Cette administration de la part de Mr
Plaine continuera jusqu’à la majorité
de mes légataires.

J’engage, sans lui en faire une condition,
Augustine Le Maréchal à consulter Mr Plaine
& à suivre ses avis en toute chose & spécialement
lors de son mariage si elle venait à se marier.

Quatrièmement : Je donne et lègue à
Henry La Maréchal, frère de feue mon épouse
& à Victoire Le Trésor, ensemble demeurant
à St Vaast La Hougue, une rente viagère

Testament de Casimir Auguste César Desmezières page 3

de six cents francs, quérable à Carentan, en
votre étude, exempte de retenue, payable par
trimestre; Laquelle rente viagère prendra
cours du jour de mon décès pour en être le
premier trimestre dû & exigible trois mois
après & ainsi de suite de terme en terme & d’an
en an sur la tête & pendant la vie des
époux Le Marechal sans aucune réduction
par le décès du prémourant d’eux.

Cinquièmement : Je donne & lègue à
Henry Cordelier, neveu de feue ma femme,
charron, demeurant à Maubeuge, tous mes
autres biens, meubles & immeubles, dont
du tout je serai propriétaire en décédant sans
en rien excepter, l’instituant mon légataire
universel, à charge de faire la délivrance
des legs particuliers par moi ci-dessus faits
& sous la condition que je lui impose de
venir habiter ma maison que j’occupe à
Carentan & d’y continuer mon commerce
de sel, mais autant d’ailleurs qu’il le voudra
m’en rapportant à lui pour l’exécution de
mes volontés, sans qu’on puisse en quoi que
ce soit l’inquiéter à ce sujet.

Telles sont mes intentions et dernières
volontés.

Le présent testament a été ainsi
dicté par le testateur au notaire soussigné
qui l’a écrit tel qu’il le lui a dicté &
qui de suite & sans désemparer lui en a
donné lecture, le tout en présence de Mr
Léonard Desrez, propriétaire, Paul

Philippe Léon Gascoin, épicier, François
Le Riteau, Chevalier de La Légion d’Honneur,
militaire en retraite & Thomas Briard,
marin, tous quatre, demeurant à
Carentan, témoins à ce appelés.

Fait & passé à Carentan, en la
demeure de Mr Desmezières testateur, dans
la salle donnant sur la cour, où il est
assis sur un lit.

L’an mil huit cent cinquante
& un le dix sept juillet à onze heure
& demi du soir.

Et le testateur, les témoins et le
notaire ont signé lecture faite de rechef de
tout ce qui précède par le dit notaire à
Mr Desmezières, en présence des quatre
témoins.

La structure de l’héritage

On note que le testament nous parle d’abord de la part dévolue à Augustine, ce qui nous indique que la préoccupation principale de Casimir Auguste est d’assurer l’avenir de sa nièce.

Pour cela il ne néglige rien, ni sa part proprement dite qui doit constituer sa dot, ni les parts de ses parents et de ses frères afin qu’elle ne soit pas contrainte elle-même d’aider ses proches.

Il va même plus loin encore en encadrant la somme que ses parents pourraient lui réclamer pour sa pension et en nommant un administrateur de ses biens et en l’enjoignant de suivre les conseils du sieur François Plaine qui se retrouve comme une sorte de tuteur d’Augustine, alors que ses parents “biologiques” qui sont toujours de ce monde semblent faire l’objet d’une forme de suspicion.

Et que dire du rôle dévolu à Henri Cordelier ! Certes il est légataire universel et exécuteur testamentaire, ce qui est le rôle le plus important du dispositif. Certes il est généreusement pourvu, ne serait-ce que par la maison et le commerce. Mais il est aussi le seul à devoir en accepter les contraintes, et d’abord celle de déménager et de s’installer rue de l’église à Carentan.

Et il va devoir supporter seul les engagements de la succession, y compris le paiement des legs et des rentes dues à Augustine, à ses parents et et à ses frères, et ce sous le contrôle du sous-préfet Plaine.

On note que l’hypothèse d’un refus de la succession par Henri Cordelier ou d’un refus par François Plaine n’est pas traité. C’est donc qu’Auguste Casimir s’est assuré par avance de leur engagement.

Cela signifie que Casimir Auguste César Desmezières connait bien notre héros Henri Cordelier, qu’ils se sont rencontrés, qu’ils ont fait le tour de la question et que Henri a accepté de s’engager dans cette aventure.

Peut-être même que le couple Desmezières a depuis longtemps suivi de loin, et peut-être même soutenu financièrement, l’éducation d’Henri, le petit orphelin d’à peine 1 an que Justine, la soeur de Léonore avait laissée derrière elle en décédant à 28 ans. Mais cela n’est que pure conjecture car contrairement aux indices que nous avions concernant Augustine, nous n’avons aucun élément nous permettant de dater l’époque où se sont établies des relations entre les Desmezières et Henri Cordelier.

Les questions

Il nous reste donc une multitude de questions, mais heureusement aussi une multitude de documents à découvrir à commencer par ceux induits directement par cet héritage.

On se demande notamment :

  • Qui est ce François Dominique Plaine, qui tout en étant sous-préfet de Coutances habite à Carentan ? Pourquoi Casimir Auguste lui fait-il une telle confiance et que gagne -t-il dans cette histoire ?
  • depuis quand Casimir Auguste et Henri Cauderlier se fréquentent-ils ? Depuis toujours ou depuis que Casimir Auguste se cherche un successeur ?
  • que devient Augustine entre juillet 1851 et 1855 ? Reste-t-elle à Carentan, rentre-t-elle chez ses parents ? Quand fait-elle la connaissance de Thomas Belin ? Quel est le rôle de Plaine dans cette rencontre ? Les Cauderlier jouent-ils un rôle auprès d’elle alors qu’elle n’a que 3 ans de plus que leur fils ainé Henri Guilain ?
  • Où sont logés les Cauderlier à Saint-Côme ? une auberge? une maison non identifiée de l’héritage Desmezières ? ou le Lieu Saint-Jean des Belin ? Et pourquoi ne peuvent-ils loger rue de l’Eglise lorsqu’ils arrivent alors qu’ils en ont l’injonction ?
  • Quels sont les autres biens meubles et immeubles constituant cette succession ? Les meubles de la maison, les tableaux qu’a pu peindre Casimir Auguste du temps de sa jeunesse puisqu’à son mariage il était peintre !
  • D’où vient cette petite fortune, Casimir Auguste avait-il lui même hérité ou tout son bien n’est-il que le fruit de son travail ?
  • Pourquoi tant de méfiance vis-à-vis d’Henri Lemaréchal et de sa femme Victoire Trésor ? Tout semble indiquer que Casimir Auguste ne leur fait aucune confiance. Mais pourquoi ?
  • Pourquoi aussi n’a-t-on pas mémorisé ces personnes dans le récit familial ? Augustine notamment qui est décédée en 1908 a bien connu Henri Cauderlier père et Stéphanie, mais elle a aussi connu leurs nombreux enfants dont elle est à peine plus âgée. Elle était forcément présente au mariage de Léopold Cauderlier et Emelie Halley vu que son mari Thomas Belin y est témoin !
    Habitant à Saint-Côme, elle venait forcément souvent à Carentan où ils vivent et se marient. Alors pourquoi n’a-t-elle laissé aucun souvenir dans la famille ? Est-ce-que le fait de devoir payer des rentes aux Lemaréchal a compliqué la relation familiale ou est-ce la tristesse d’avoir perdu son fils unique qui l’a éloignée des Cauderlier tellement nombreux ?

La Villa des Martyrs en HD

A l’occasion du 174 ème anniversaire de la naissance de Léopold Cauderlier, je nous offre la photo en HD de sa cabane préférée, la Villa des Martyrs.

Voici, non plus le scan de la carte postale mais celui de la photo argentique accrochée au mur de la maison familiale de Bayeux.

La Villa des Martyrs, Longues sur Mer, 1909

La qualité est évidemment bien meilleure sur cette photo-ci que sur celle présentée dans l’article dédié à ce modeste cabanon.

Pourtant il y a des zones surexposées à droite et plus encore à gauche.

Au départ j’ai cru que c’était le fait d’être resté exposé sur un mur pendant plus d’un siècle qui avait pu jaunir les bords de la photo. Mais à y regarder de plus près ce sont des zones qui ont été supprimées au recadrage pour la réalisation des cartes postales, donc le défaut pré-existait peut-être.

Pour la précision des détails je vous laisse profiter des portraits d’Emélie et Léopold avant, …

Villa des Martyrs Léopold et Emélie Cauderlier

Et après .

Villa des Martyrs Léopold et Emélie Cauderlier en HD

Maintenant au moins on sait que le journal que lisait Léopold était sans grande surprise le “Journal de Bayeux”.

Bon anniversaire grand-grand-papy !

Débarquement à Saint-Côme-du-Mont

L’histoire orale familiale est composée de bribes d’informations comme un jeu incomplet de pièces de puzzle.

On ne réussit à reconstituer le puzzle que si l’on parvient à y insérer les petites pièces qu’on avait au début. Si l’on reconstitue le puzzle et qu’il reste des pièces sur le côté, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche.

Par exemple lorsque mon grand-père André Cauderlier m’a parlé de l’arrivée du sien, Léopold Cauderlier, en Normandie en septembre 1851, il m’a dit que la famille avait tout d’abord posé ses valises à Saint-Côme-du-Mont quelque temps avant de s’installer plus durablement rue de l’Eglise à Carentan.

Bien sûr on peut penser qu’ils ont repéré un petit AirBnB sympa où ils ont choisi de s’acclimater à la fraicheur vivifiante du bon air normand.

C’est possible mais il me semble plus probable qu’ils ont été accueillis par des gens de confiance, de la famille ou des amis.

Sauf que la mémoire familiale n’a pas retenu, à ma connaissance, de cousins à Saint-Côme-du-Mont.

Succession Desmezières Le Maréchal, Septembre 1851
Décès de T. Belin page 1

Reprenons l’arbre généalogique que nous avions établi lors d’un article précédent pour comprendre la succession Desmezières qui provoque le déménagement de nos héros en Normandie. On y trouve un habitant de Saint-Côme-du-Mont, et pas n’importe lequel : c’est Monsieur Thomas Belin, le mari d’Augustine Le Maréchal, qui a été maire de Saint-Côme-du-Mont par deux fois de 1852 à 1878 puis de 1881 à 1884. Semblant de rien ça fait tout de même 29 ans de mandature et de fait, sa profession dans les actes est le plus souvent maire ou ancien maire.

Décès de T. Belin page 2

Sur son acte de décès on précise qu’il a été Président de la Fabrique (qu’est-ce qu’il fabriquait là ? ben il s’occupait des affaires financières de la paroisse et peut-être aussi des sépultures) et aussi président du Syndicat de l’Essiau (Syndicat de quoi ? Ben de l’écoulement des eaux ce qui dans les marais n’était pas une sinécure). Et c’est un homme qui compte à Saint-Côme, c’est même écrit dans wikipédia à la rubrique “Personnalités liées à la commune” de la page sur Saint-Côme-du-Mont sous la forme “Famille Belin (1684 – fin XIXe)” et il a même sa page à lui tout seul dans wikimanche !

Et le pompon c’est qu’à son mariage avec notre cousine Augustine Victoire Henriette Le Maréchal, le 12 juin 1855 à Saint-Côme-du-Mont, l’un des témoins n’est autre que le sous-préfet de Coutances François Plaine, en personne et en toute simplicité.

Tout ça pour dire que Thomas Belin est une personnalité de la vie publique et des activités économiques de droit publique. Par contre on ne trouve pas son nom dans le commerce du sel ou le transport maritime de la famille.

Reste la question : Est-il possible que nos héros aient été hébergés par Thomas Belin à Saint-Côme-du-Mont lors de leur arrivée en Normandie en septembre 1851 ?

P’tet ben qu’oui, …

Le personnage central de cette histoire c’est Augustine Le Maréchal.

Acte de naissance de Augustine Lemaréchal p1

Augustine est la fille ainée de Henry Julien Narcisse Le Maréchal qui est douanier et déjà veuf par deux fois lorsqu’il épouse la maman d’Augustine, Victoire Trésor, qui fait partie d’une famille de marins de Saint-Vaast La Hougue. Des marins qui s’appellent Trésor ça laisse rêveur.

Augustine naît le 17 octobre 1833 chez ses parents à Osmanville, un village tout proche d’Isigny ou son père est douanier, non loin Carentan. On constate que c’est son oncle par alliance Casimir Auguste Desmezières de Carentan, qui déclare la naissance de sa nièce à la mairie.

Acte de naissance de Augustine Lemaréchal p2

Je n’ai pas accès au registre des baptêmes mais je ne serais pas surpris qu’Auguste soit le parrain de la petite Augustine.

Les parents d’Augustine sont assez pauvres, l’oncle Casimir Auguste lui est déjà, ou va bientôt devenir, assez riche. Il est marié à Léonore, la soeur d’Henry depuis 20 ans et ils n’ont pas d’enfant.

Augustine aura trois petits frères Auguste, Louis et Edouard nés respectivement vers 1837, 1839 et 1846. A ce jour je n’ai pas retrouvé les actes de naissance ( ni de décès d’ailleurs ) des trois frères d’Augustine. J’en déduis qu’ils sont nés dans une commune où la famille est passée entre Osmanville (naissance d’Augustine en 1833) et Saint-Vaast La Hougue (recensement de 1846 ci-dessous).

Recensement de la population 1846 Saint-Vaast-La-Hougue, Rue Gautier

En effet en 1846 la petite famille est installée à Saint-Vaast-la-Hougue, le berceau de la famille de la maman (qu’Henry appelait sûrement son petit Trésor).

Les deux plus grands des garçons sont bien là, ils ont 7 et 5 ans alors que le petit Edouard n’est pas encore né. Il naitra en juillet de cette année 1846.

Le père qui est identifié dans ce recensement par son troisième prénom (Narcisse) n’a plus non plus le même métier : il était douanier, il est maintenant épicier. A 56 ans serait-il déjà en retraite de la Douane ?

Ce qui est sûr c’est qu’Augustine qui a 13 ans en 1846, n’habite pas chez ses parents. Alors soit elle est en pension quelque part, soit elle habite déjà chez ses oncle et tante Desmezières à Carentan.

Ce que l’on sait de ses petits frères c’est qu’Auguste et Louis seront marins, et que le jeune Edouard est sans doute handicapé.

Il n’est pas absurde de penser qu’Augustine devenue ado se soit rapprochée de son oncle et de sa tante Desmezières de Carentan qui étaient sans doute en mal d’enfant et qui ont aussi pu avoir besoin d’assistance dans les dernières années de leurs vies.

En 1851, sa tante puis son oncle décèdent alors qu’Augustine n’a pas encore 18 ans, et il semble qu’ils la couchent sur leurs testaments car on retrouve une Augustine Le Maréchal comme héritière et nous ne connaissons pas d’autre Augustine. Pourtant son père est aussi héritier. Cette bizarrerie nous avait déjà interpellé dans l’article précédent mais il faudra retrouver le testament pour avoir des certitudes.

Liste des héritiers des époux Desmezières en 1851

En attendant, si l’Augustine du document ci-dessus est bien la future madame Belin, alors elle y est notée comme habitante de Carentan et non de St Vaast comme son père Henry.

Et si une relation affective privilégiée unissait les époux Desmezière à Augustine au point qu’elle vivait chez eux en 1851 cela expliquerait aussi :

Le Lieu Saint Jean, La Basse Addeville, Saint-Côme-du-Mont
  • que la maison de la rue de l’église à Carentan ne soit pas disponible, Augustine y réside sans doute encore;
  • qu’Augustine ait connu en voisine son futur mari Thomas Belin, Saint-Côme-du-Mont étant tout près de Carentan;
  • que Thomas Belin ait pu offrir l’hospitalité à ses futurs cousins par alliance à leur débarquement en Normandie,
  • et qu’Augustine et Thomas se soient mariés à Saint-Côme c’est à dire dans la commune de l’époux et non de l’épouse comme il est de tradition lorsque les époux habitent réellement chez leurs parents respectifs.

… P’tet ben qu’non.

mais en septembre 1851 nous sommes encore 4 ans avant le mariage de Thomas et d’Augustine. Elle n’a pas encore 18 ans, et Thomas, qui lui a 25 ans de plus, ne semble pas impliqué dans les affaires des Desmezières.

Plaque de cheminée
au lieu St-Jean marquée
Jacques François Belin
le père de Thomas Belin

Pourquoi alors se serait-il préoccupé de l’arrivée des Cauderlier ?

Peut-être tout simplement par défaut parce qu’il n’y a personne de la famille sur place sauf la très jeune Augustine et ses amis au nombre desquels Thomas fait peut-être déjà partie.

Rien de sûr donc sauf l’adresse où Thomas Belin et Augustine vont s’installer, vivre et mourir. Plusieurs actes nous précisent qu’ils habitent au “Lieu Saint-Jean”, hameau de La Basse Addeville (ou Appeville) à Saint-Côme-du-Mont.

Miroir et moulures
de la chambre d’Augustine
au lieu Saint-Jean
à Saint-Côme-du-Mont

C’est là que naîtra leur fils Georges le 13 mars 1873 et là qu’il décèdera à l’âge de 13 ans.

C’est là aussi qu’est décédé un an plus tard Thomas Belin le 4 mars 1887.

Augustine leur survivra plus de 20 ans. Et au lieu Saint-Jean il existe encore une pièce au rez-de-chaussée derrière la cuisine qu’on dit avoir été transformée en chambre dans un style néo-classique au début du 20ième siècle et ou vivait une vieille dame entourée de plusieurs chats or Augustine est décédée au Lieu Saint-Jean en 1908.

La tombe de Thomas Belin, Augustine née Lemaréchal et leur fils Georges à Saint-Côme du Mont

Thomas, Augustine et leur fils Georges auront la chance assez exceptionnelle que leur tombe soit protégée par la Conservation départementale des antiquités et objets d’art de la Manche.

Quant-au Lieu Saint-Jean, il est aujourd’hui un domaine comprenant un gîte pour les voyageurs et un havre de paix pour les chevaux. On peut remercier Cécile Graton, son actuelle propriétaire, d’avoir redonné à cette maison son nom historique, et de nous avoir offert le privilège de la visiter.

Car c’est peut-être bien la toute première adresse des Cauderlier en Normandie.

Transmission d’entreprise à Bayeux

Acte notarié de transmission du commerce de Léopold Cauderlier à son fils Henri la 1er octobre 1897. Archives départementales du Calvados.

Si la transmission inter-générationnelle des PME est un sujet d’actualité à l’ère du papy-boom, c’est aussi une réalité intemporelle tant elle était courante du temps de nos aieux.

Dans la section notariale des archives départementales du Calvados, on retrouve au milieu des successions et des actes de propriété la transmission par Léopold Cauderlier à son fils Henri de son commerce d’épicerie en gros.

Même si la photo est malheureusement floue -Il faudra aller refaire cette photo un jour- on arrive tout de même à lire le texte que voici :

Entre les soussignés, Léopold Cauderlier demeurant à Bayeux rue Echo N° 19 et 21 d’une part et Henri Cauderlier, son fils, demeurant chez son père, d’autre part, il a été convenu et arrêté ce qui suit
Savoir :
Monsieur Léopold Cauderlier cède par les présentes à Monsieur Henri Cauderlier, son fils, sa maison de Commerce comme commerçant en gros de sel, oeufs, bière et divers; lui cède son matériel et tous les ustensiles pouvant être utilisés au commerce. Henri Cauderlier déclare les bien connaitre et prendre possession du dit fonds à partir du Premier Octobre mil huit cent quatre vingt dix-sept, en jouir, faire et disposer à sa volonté.

La présente vente est faite moyennant un inventaire qui sera donné des marchandises existant en magasins et du matériel que Monsieur Henri Cauderlier paiera dans un délai de trois ans pour la moitié et le reste dans cinq ans par acomptes ou à sa volonté sans intérêt.

Fait et signé double et de bonne foi après lecture, à Bayeux, le Premier Octobre Mil huit cent quatre vingt dix-sept.

Suivi des splendides signatures de Léopold et de Henri. Quelle émotion !

Car il y a quelque chose de cornélien dans cette transmission, non pas d’un choix mais de sa motivation possiblement liée à la nécessaire force physique que requiert le commerce de sel en gros.

L’acte date d’octobre 1897, Léopold, qui est né le 27 juillet 1847, a tout juste 50 ans lorsqu’il entreprend de céder son entreprise à son fils Henri.

Et puis il y a cette concision extrême de l’acte en une page, pas plus, qui ajoute encore à la dramaturgie. A croire qu’il était facturé au nombre de pages tamponnées.