Auvers, un château “peau de chagrin” pour soigner les chagrins

Le château d’Auvers dans la Manche. Gravure du 17ème ou du 18ème siècle.

Pendant des siècles, le château d’Auvers près de Carentan dans la Manche ne fait pas parler de lui.

Pas de riche mécène, ni d’illustre occupant, pas même de fiche historique sur wikipedia.

On trouve seulement des représentations graphiques qui tristement présentent un bâtiment d’autant plus petit que l’image est récente.

Le Chateau d’Auvers vers 1910.

Il n’en reste aujourd’hui que le pavillon central, propriété privée réputée pour son activité équestre.

Quoiqu’il advienne de ses murs, le château garde une part de son identité. D’où la tient-il ? De sa toiture bien sûr, mais également de son double escalier, même s’il est devenu maintenant assez incongru pour un si petit bâtiment.

Le château d’Auvers près Carentan dans la Manche aujourd’hui.

C’est que l’escalier a toujours été le point focal du château.

Et c’est tout naturellement devant cet escalier que tout le monde se prend en photo au début du 20ème siècle.

La quantité de photos faites devant cet escalier est juste incroyable.

Découvrons-les ensemble …

Les familles Lagouche et Bouthreuil à Auvers

De gauche à droite les deux plus jeunes des enfants, Marcel et Madeleine Lagouche, puis les deux soeurs Suzanne Bouthreuil et Marie-Louise Lagouche née Bouthreuil, et enfin les deux enfants aînés Suzanne et Charles Lagouche. Château d’Auvers entre 1913 et 1919.

Malgré le petit air d’exotisme donné par le palmier, la joie ne semble pas à son comble dans cette famille. Et pour cause, parce que s’ils sont là, c’est qu’après le décès du père de famille Charles Lagouche le 28 novembre 1907, sa veuve Marie-Louise et ses 4 enfants ont dû se débrouiller seuls.

Suzanne et Hortense Bouthreuil à Auvers c. 1910

Au départ, ils restent à Caen, ils quittent juste leur restaurant du 68 boulevard St-Pierre pour un appartement au 20 rue Saint-Jean. En septembre 1910, Charles, l’ainé, trouve un travail de journaliste au journal L’Auto, l’ancêtre de L’Equipe : il doit suivre un régiment pendant de grandes manoeuvres. Lui qui n’aime rien tant que de bouger est ravi. A cette occasion il se perfectionne en technique photographique. Puis fin 1911, Marie-Louise et ses enfants quittent la Normandie et montent à Paris au 14 rue de la Perle. Début 1914, Marie-Louise et ses filles s’installent 13 Rue Custine dans le 18ème mais pour peu de temps semble-t-il. Elles y reviendront après la guerre.

Car avec la guerre les choses se sont compliquées. Est-ce la peur d’être assiégée dans Paris comme c’est arrivé à d’autres en 1870, où celle de manquer de nourriture qui pousse Marie-Louise à retourner en Normandie ? Toujours est-il qu’elle est recueillie avec ses enfants par sa soeur, Suzanne Bouthreuil, qui dirige l’Institution Notre-Dame, autrement dit le pensionnat de jeunes filles installé à Auvers.

Pensionnat Auvers circa 1914.
On reconnait Madeleine Lagouche en haut à gauche et Suzanne en haut à droite.

Ce n’est pas la première fois ; déjà en 1905 leur mère à toutes deux Hortense Bouthreuil née Cauderlier était venue, elle aussi, trouver refuge à Auvers après la mort de son mari Paul. Et c’est d’ailleurs à Auvers qu’Hortense en décédée en 1912.

A leur arrivée, il semble que les deux filles Suzanne et Madeleine soient affectées au pensionnat, puisqu’on les reconnait sur une photo de groupe. Les garçons ne sont pas là en permanence, Marcel est mobilisé presque en continu et Charles est mobilisé l’été 1917 et travaille toujours en pointillé pour le journal.

Puis les locaux du pensionnat sont semble-t-il réquisitionnés comme hôpital militaire. Le château devient havre de paix pour quelques soldats blessés.

L’Hôpital militaire d’Auvers

Lorsqu’il est à Auvers, le fils ainé Charles Lagouche utilise ses compétences photographiques pour faire des photos de groupes, soit dans les espaces de vie comme ci-dessus, soit …

Hôpital militaire d’Auvers (Manche) entre 1914 et 1919 avec au premier rang, au milieu Suzanne Bouthreuil et à côté à gauche peut-être Mr Roy avec son képi 77 et à droite l’homme dit “à la médaille”, et ma grand-mère Suzanne au milieu en haut.

… en bas de l’escalier de droite du château bien sûr comme ci-dessus et ci-dessous.

Hôpital militaire d’Auvers (Manche) entre 1914 et 1919

Et on retrouve sur ces photos de groupe, sa soeur, ma grand-mère, la jeune Suzanne Lagouche en aide-soignante débutante (au milieu en haut sur la première photo et en bas à gauche sur la seconde). Sa tante Suzanne Bouthreuil en patronne de l’institution est toujours en bas au centre.

Pour l’occasion, les soldats se sont faits beaux et on constate alors qu’ils viennent du 32ème, du 319ème, du 37ème, du 77ème, du 69ème, du 236ème, …

Ils ont des uniformes variés, ils viennent sans doute aussi de régions différentes et de milieux sociaux différents.

Hôpital militaire d’Auvers (Manche) entre 1914 et 1919
A l’arrière de cette photo il est écrit : “Soldats de l’hôpital d’Auvers en paysans normands”

Au début les blessés étaient une vingtaine et les soignantes 4.

Il semble qu’ensuite ils soient une trentaine de blessés pour 5 soignantes.

Pourquoi penser que cette photo est ultérieure au deux autres ?

A cause du lierre sur le mur, qui est semble-t-il plus fourni sur cette dernière photo que sur les précédentes.

On note aussi que d’une photo sur l’autre les blessés sont presque tous différents, c’est, sans doute, qu’en 4 ou 5 ans ils se sont souvent renouvelés.

De toute façon, ce qui les réunit là, c’est l’absurdité d’une guerre et la chance de ne pas être mort sur l’un ou l’autre des nombreux champs d’honneur.

Les commandes de la carte postale n°7 d’Auvers

Cela peut paraitre étonnant mais malgré les circonstances, on s’amuse aussi parfois et c’est l’occasion de faire une photo, toujours en bas et à droite de l’escalier emblématique devant le palmier bien sûr.

Comme le matériel photographique coûte cher, Charles Lagouche se finance en vendant ses photos tirées en cartes postales et il réalise des tirages à la demande pour les photos où figurent des soldats reconnaissables.

On trouve ainsi derrière certaines épreuves le nombre d’exemplaires commandés par les différents soldats représentés.

Charles fait aussi des portraits et même son auto-portrait, où-çà, bah en bas de l’escalier, tiens !

Selfie de Charles Lagouche à Auvers été 1917

Les évènements familiaux

Communiante à Auvers circa 1914

Et puis on a aussi des photos faites à l’occasion d’évènements familiaux, communion sûrement, baptême et funérailles peut-être.

Toutes ces photos, visiblement faites à Auvers, sont de la même facture.

Elles sont tirées sur le même papier que les photos précédentes de l’hôpital. On en déduit qu’il est probable qu’elles aient été faites par la même personne à savoir Charles Lagouche.

Prenons cette communiante par exemple : pour l’occasion on a crû bon de décorer l’escalier du château d’une statue religieuse.

Et on retrouve cette statue au même endroit sur une photo de Marie-Louise, et comme Marie-Louise tient un livre à la main on en déduit qu’elle est sans doute la marraine de la petite, donc de sa famille, sa tante par exemple.

Marie-Louise Lagouche à Auvers un jour de communion

Et si l’on suppose que ces photos ont été prises entre 1910 et 1920 et que cette communiante est de la famille, ce ne peut être que Agnès Bouthreuil née en juin 1899 ou sa petite soeur Denise Bouthreuil née en 1904. Nous savons que toutes deux ont fréquenté le pensionnat que dirige leur tante Suzanne à Auvers car nous avons des photos d’elles en uniforme du pensionnat.

De plus Nous avons une photo de cette communiante avec des personnages que l’on peut imaginer être son jeune frère Edouard et sa mère Berthe née Drouet.

Le look du jeune Edouard surprend un peu : cheveux longs, broderies au col et aux poignets … Pour un futur colonel ça fait tout drôle. Mais c’était la mode au début du 20ème siècle et on trouve de tels costumes aussi chez d’autres garçons de la famille à la même époque, je pense notamment au jeune Léon Boucher à Bayeux , et aux fils de Jules Cauderlier à Carentan et même à mon beau-père Raymond Chernet qui portait un habit strictement identique.

Edouard, Berthe et Denise Bouthreuil à Auvers. Circa 1914

Comme on ne peut pas croire qu’il n’y a que 2 ans d’écart d’age entre ces deux enfants là, il faut retenir que la communiante est l’ainée Agnès née en 1899. Nous sommes donc en 1909, 1910 ou 1911, c’est à dire avant la guerre et avant que les uns et les autres ne viennent vivre à Auvers.

On a aussi d’autres photos de famille au Château d’Auvers cette fois pendant la guerre.

Un jour de fête sans doute, Marcel est en permission, tout le monde est bien habillé. Il ne fait pas très chaud, c’est Noël peut-être.

Sur la photo de droite on a Marie-Louise fièrement entourée de ses 4 beaux enfants.

Madeleine,Suzanne, Marie-Louise,Charles et Marcel Lagouche, Auvers

Sur la photo ci-dessous ce sont exactement les même personnes, le même jour au même endroit. Seul le châle qui était posé sur la rambarde à droite en montant dans l’escalier est maintenant à gauche.

Mais surtout il y a deux personnes de plus : Tante Suzanne la patronne des lieux et cette jeune fille à gauche qui pourrait être Agnès Bouthreuil notre communiante et qui serait donc légèrement plus jeune que les filles Lagouche Suzanne et Madeleine ce qui parait tout à fait plausible.

Mais ce n’est qu’une hypothèse et il peut aussi s’agir d’une autre jeune fille.

Les familles Lagouche et Bouthreuil au Château d’Auvers (Manche) entre 1914 et 1919

Un autre jour au même endroit il se passe semble-t-il quelque chose de beaucoup plus triste. C’est qu’à Auvers nos familles ont aussi perdu des leurs.

La grand mère Hortense Bouthreuil née Cauderlier est décédée à Auvers en 1912.

Puis la petite Denise Bouthreuil est décédée de la grippe espagnole à Auvers en 1918, quelques semaines après la mort de son père Edouard Bouthreuil (père).

Serait-ce donc la jeune soeur de notre communiante que l’on enterre 7 ou 8 ans plus tard ?

Sur la photo ci-dessus prise à un endroit désormais familier on dénombre 6 femmes en grand deuil.

Trois nous sont maintenant bien connues. Si nous les numérotons de gauche à droite il s’agit en numéro 2 de ma grand-mère Suzanne Lagouche, en 3 de sa mère Marie-Louise et en 6 de Suzanne Bouthreuil directrice de l’institution.

Sur la photo de droite nous avons les mêmes personnes excepté que la jeune Madeleine a remplacé sa soeur Suzanne Lagouche.

Qui pourraient-être les trois autres femmes en noir de ces photos?

S’il s’agit bien de l’inhumation d’une fille Bouthreuil, il faut chercher du côté de sa mère Berthe née Drouet qui pourrait en 1918 être accompagnée de sa soeur Juliette et de leur mère Victorine Drouet née Brione.

Le couple aux jumelles et les femmes Lagouche vers 1914, peut-être au baptême des jumelles.

Mais cela peut aussi être l’inhumation de notre communiante Agnès, institutrice, qui décède un peu plus tard en 1920 à Carentan d’une péritonite. Les personnes présentes sur la photo seraient alors potentiellement les mêmes.

Enfin cela peut-être tout à fait autre chose car rien n’est documenté de façon sûre ici.

Et puis il y a le mystère du couple aux jumelles.

Les parents et leurs deux filles sont photographiés à deux reprises à l’extérieur.

Tout le monde est bien habillé comme s’il s’agissait d’une occasion particulière.

Le couple aux jumelles, Marie-Louise et Madeleine Lagouche vers 1918.

Et nous sommes à une époque où les Lagouche – au moins les femmes – vivent à Auvers.

On les voit au début toutes petites, peut-être le jour de leur baptême, dans les bras de leurs parents, avec les femmes Lagouche, leurs marraines peut-être.

Puis on les retrouve en petites filles de 4 ou 5 ans toujours avec des femmes Lagouche (Madeleine et Marie-Louise).

Mais je ne connais pas de jumelles dans la famille, et les photos ne sont pas prises dans notre escalier préféré. Il n’est donc pas certain que l’on soit bien à Auvers.

Les seules jumelles que nous connaissions sont celles du second mari de Louise Lagouche (1858-1919) qui s’appelait A. Lesauvage et était veuf et père de 4 enfants dont deux jumelles. L’ennui c’est que ces jumelles-là seraient beaucoup plus âgées que celles de ces photos.

Les amis d’infortune

Théatre à Auvers entre 1914 et 1919.
Une des plus jolies vues de l’escalier.

Il y a d’autres personnes et même d’autres familles échouées à Auvers pendant cette guerre.

Du point de vue photographique, il semble que la famille et les amis d’infortune ne se mélangent pas avec les soldats blessés.

Tout se passe comme si les “permanents” avait chacun un rôle dans l’activité de l’hôpital et un loisir commun, le théâtre, qu’ils pratiquaient pour distraire les blessés “de passage”.

Mr et Mme Roy à Auvers entre 1914 et 1919

Comme nous l’avons vu, les blessés changent souvent.

Cela permet sans doute de renouveler l’auditoire et de faire quelque économie de moyen sur le répertoire théâtral…

Même Suzanne Bouthreuil, religieuse (ou ancienne religieuse) se mêle à l’action !

L’action qui se passe où ?

A droite en bas de l’escalier du château d’Auvers, bien sûr.

Qui sont donc les acteurs de ces pièces de théâtre ?

Tout d’abord il y a les époux Roy.

Les familles Lagouche et Roy réunies de nouveau le 1er janvier 1921 quelque part mais pas à Auvers.

Monsieur Roy est militaire de toute évidence et il ne quitte guère son uniforme que pour jouer au théâtre.

Il est probable qu’un militaire avait la responsabilité de l’hôpital militaire d’Auvers, médecin peut-être ou simplement gradé en charge d’enregistrer les mouvements et les affectations des uns et des autres.

Comment savons nous leur nom à coup sûr ?

Le verso de cette carte de voeux

C’est que un peu plus tard, le 1er janvier 1921, les Lagouche et les Roy fêteront la nouvelle année tous ensemble quelque part.

A cette occasion ils ont signé une photo d’eux qu’ils n’ont pas envoyée.

Nous l’avons donc retrouvée un petit siècle plus tard dans les affaires de Charles qui en était sans doute l’auteur très habile.

Très habile car il a fallu faire la photo puis la tirer sur papier, que le papier sèche pour faire signer tout le monde avant qu’ils ne rentrent chez eux. C’est plus cool aujourd’hui avec WhatsApp.

Et tout çà pour ne pas l’envoyer !

Peut-être que la présence des 2 jeunes filles (qui sont sans doute soeurs vu qu’elles portent exactement la même robe, à l’instar des soeurs Lagouche) risquait d’être mal perçue par la destinataire c’est à dire Suzanne ?

On comprend pourtant facilement qu’ils aient voulu témoigner leur affection à celle qui les avait fait se rencontrer en leur offrant à tous l’hospitalité (c’est bien le mot qui convient) en ces années terribles encore dans toutes les mémoires.

Le jeune homme à la médaille

Ensuite on trouve un couple que l’on ne voit que sur ces scènes de théâtre.

Et puis enfin il y a des personnes qui sont acteurs de théâtre et sont photographiées seules.

Ainsi ce jeune homme dont on a un portrait. Il y porte une tenue un peu étrange mi-militaire mi-civile avec une médaille militaire.

Lui aussi joue au théâtre. Il est aussi peut-être sur la carte postale numéro 1 ci-dessous.

Enfin il y a cette demoiselle, “la jeune fille à l’escalier du château d’Auvers”.

Il me semble que c’est la cinquième soignante apparue sur la troisième photo des blessés ci-dessus.

Tout deux faisaient donc partie du staff de l’hôpital d’Auvers pendant cette période.

La jeune fille à l’escalier du château d’Auvers près Carentan 1914-1919

Datation au carbone 1914-18

Carte numéro 0, Le Chateau d’Auvers vers 1910

Tout le monde le sait, rien de tel que les végétaux fossilisés sur des photos pour dater les évènements.

Ici nous avons 3 végétaux importants, le grand arbre au fond à gauche du château, les palmiers devant l’aile droite du château et le lierre.

Sur la carte postale ancienne la plus courante du château (carte numéro 0), faite en hiver on voit un très grand arbre, qui semble couvert de lierre dans sa partie basse et qui occulte la vue. On remarque aussi entre les 2 fenêtres de droite de l’aile du château un tout jeune palmier. Il n’y a pour ainsi dire pas de lierre sur le mur du château.

Carte numéro 1, Le château d’Auvers entre 1914 et 1919

Mais il existe aussi un jeu de 3 cartes postales numérotées. La première représente le château sous un angle très proche de la carte précédente mais le grand arbre du fond a disparu. les palmiers ont bien grandi et du lierre a poussé sur le mur.

Nous sommes sûrs que ce jeux de cartes ont été faites par Charles Lagouche donc probablement entre 1914 et 1919 car nous avons trouvé dans ses affaires des tirages de ces photos sans impression du texte.

Détail de la carte postale numéro 1, Château d’Auvers près Carentan (Manche) entre 1914 et 1919

Et si on agrandit ces tirages originaux on découvre de nombreux personnages presque invisibles à l’oeil nu. On reconnait des soldats, des soignantes et même Marie-Louise Lagouche, toujours en robe noire, ici en grande conversation près de la porte avec madame Roy semble-t-il.

Carte numéro 2, Le pavillon du château d’Auvers 1914-1919

D’ailleurs je ne serais pas surpris que ce soit Monsieur Roy assis devant sur le muret et son jeune collègue de théâtre qui arrive de la droite, l’homme à la médaille.

Sur la carte postale numéro 2 intitulée Pavillon du château on constate que les militaires blessés sont nombreux et qu’ils y sont comme chez eux car ils sont assis sur les appuis de fenêtres.

Aucun doute c’est là qu’ils logeaient, on voit même un lit d’hôpital par une fenêtre du premier étage.

Carte numéro 3, Pensionnat des Sacré-Coeurs de Jésus et de Marie – Cour extérieure et dépendances 1914-1919

La troisième carte de la série est une vue extérieure du pensionnat.

C’est une vue animée par des pensionnaires qui sortent et s’étonnent de l’attirail du photographe.

A en croire cette série de cartes, le pensionnat serait donc resté opérationnel à Auvers en même temps que l’hôpital.

Le même endroit aujourd’hui

J’ai tendance à penser que cela n’est vrai qu’au début, en 1914 et qu’ensuite le pensionnat a dû être rapatrié au centre de Carentan, laissant des espaces pour accueillir plus de blessés.

C’est qu’en regardant bien les photos des blessés on constate que leurs lieux de vie sont meublés comme des écoles : pupitre, tableau noir et vestiaire à hauteur d’enfant.

Carte numéro 7. Remarquez les pupitres et les vestiaires, nous sommes clairement dans une ancienne salle de classe du pensionnat d’Auvers transformée en mess. Et on connait le nom de ces 5 personnes qui ont passé commande de copies de cette carte (voir ci-dessus).

La guerre finie, et les derniers blessés rentrés chez eux, la famille Lagouche rentre à Paris au 13 rue Custine.

Marie-Louise et Suzanne Lagouche devant le château d’Auvers c.1927.
Ici devant le pavillon du château d’Auvers près Carentan circa 1927.

Puis ils reviennent à Auvers, sans doute à l’occasion du décès de Suzanne en 1927.

Je n’ai pas l’acte de décès de Suzanne Bouthreuil qui n’est pas accessible en ligne et a pu être détruit en 1944, mais elle n’est pas présente sur ces photos et nos dames sont en tenue de deuil.

Nous voyons bien que le palmier, qui ne dépassait pas le haut de la fenêtre du rez-de-chaussé sur la carte postale numéro 1 faite vers 1914, atteint maintenant le milieu du premier étage !

Le troisième cliché de ce même jour.

Voici les trois clichés que nous avons de ce jour là.

Et qui prend ces photos me direz-vous?

Hé bien il n’y a que Charles pour faire ce genre de cliché.

Il n’y a que lui dont on accepterait la présence dans de telles circonstances.

Suzanne Bouthreuil est enterrée avec ses parents au cimetière de Carentan.

Ainsi s’achève l’aventure à Auvers près Carentan de Suzanne Bouthreuil, de sa soeur Marie-Louise Lagouche et de ses 4 enfants Charles le photographe, Suzanne la soignante improvisée, Marcel le militaire et la jeune Madeleine.

L’escalier du château d’Auvers 1914-1919.
De gauche à droite
Marcel et Madeleine Lagouche,
Peut-être Berthe et Agnès Bouthreuil,
Le couple aux jumelles,
Marie-Louise Lagouche

Et moi il ne me reste qu’un souhait …

… celui de faire …

… comme beaucoup dans ma famille …

… un beau selfie sur cet escalier.

Les questionnements :

Qui est la communiante ?
Est-ce bien Agnès Bouthreuil ?

Qui sont les parents des jumelles nées vers 1913 ?

Qui sont les femmes en deuil ?
Sont-ce Berthe, Juliette et Victorine Drouet ?

Qui sont les personnes photographiées seules et le couple qui joue du théatre?


L’album photo de Marie-Louise Bouthreuil

Je vous ai déjà parlé de ce petit album photo qui me faisait rêver lorsque j’étais enfant.

Une Bouteille à la mer !

L’objectif de cet article est de partager avec vous la totalité de son contenu pour avancer dans l’identification des personnes photographiées.

Il contient 14 photos qui sont toutes très anciennes, de la seconde moitié du 19ème siècle.

A ce stade seules 4 personnes sont identifiées avec certitude, il s’agit de Hortense Cauderlier et son mari Paul Bouthreuil en page 1 et des deux plus jeunes de leurs 3 enfants, Edouard(père) Bouthreuil à gauche et Suzanne Bouthreuil à droite de la page 3.

Photo de Marie-Louise Bouthreuil, la grande soeur de Suzanne et Edouard à la même époque vers 1880 qui n’est pas dans cet album.

Ce petit album a été retrouvé au milieu d’objets ayant appartenu à la seule personne de cette famille dont il manque la photo, la grande soeur Marie-Louise Bouthreuil, mon arrière-grand-mère qui épousera Charles Lagouche.

Pourtant on connait une photo d’elle de la même époque.

Aussi on peut raisonnablement penser que cet album lui appartenait, qu’elle l’a confectionné avec les photos de ses proches probablement quelque temps avant son mariage en 1888.

Pour donner toute l’information on présentera les photos recto et verso dans l’ordre où elles apparaissent dans l’album.

Page 1 Paul Bouthreuil et Hortense Cauderlier

Marie-Louise commence cet album par cette splendide photo de ses parents.

Voir l’article sur cette photo.

Pour essayer de comprendre la situation je crois qu’il faut voir qu’Hortense et Paul sont tous deux issus de fratries nombreuses de respectivement 13 et 11 enfants mais alors qu’Hortense est troisième dans sa fratrie et se mariera la première puis donnera leurs premiers petits enfants à ses parents, Paul lui est le petit dernier de sa fratrie.

D’ailleurs à leur mariage le 6 mai 1862, Paul est déjà orphelin de son père Edouard Edmond Bouthreuil depuis plus de 5 ans, alors que les parents d’Hortense, nos héros Henri et Stéphanie, n’ont que 47 ans.

Autre information importante pour cette analyse, les dates d’exercice de leur profession par les différents photographes.

Mes sources principales sont :
https://www.wikimanche.fr/Liste_des_photographes_de_la_Manche
http://www.portraitsepia.fr/
https://haut-de-forme-et-crinoline.org/photographes/

Il semble que :

– Grumeau a exercé à Cherbourg et à Carentan de 1868 à 1878.
– Gallot a exercé son art à Cherbourg sous son nom de 1862 à 1870.
– Rideau exerce dès 1860 et jusqu’à la fin du siècle
– Jules Desrez, le beau-frère d’Hortense, est photographe de 1873 à 1909
– Eugène Bernier, exerce boulevard de Bonne Nouvelle du printemps 1876 à juin 1880
– Hélios, c’est le nom sous lequel exercent en collaboration 2 photographes Berne Bellecour et Berthaud de 1867 à 1870.
– les photos signées “Charles photographie artistique Paris bd bonne nouvelle et bd Beaumarchais” sont également le fait de Charles Auguste Gallot, lorsqu’il est actif à Paris de 1876 à 1898.

Page 2 à gauche

Cette seconde photo de l’album interroge:
Est-une mère et son fils ou une grand-mère et son petit fils ?

On rêverait que ce soit le petit Paul à 2 ou 3 ans et sa maman ou sa grand-mère mais Paul est né en 1836 et en 1840 on ne faisait pas de telles photos.

Cette photo date plutôt des années 1860, 70 ou même 80. Il faut chercher plus tard.

Chez les Cauderlier on a un candidat, Edmond Arthur Cordelier, le petit dernier. Il naît alors que sa mère a 45 ans le 18 avril 1859 à Carentan. Sur cette photo, Marie-Louise nous présenterait donc sa grand-mère Stéphanie à l’age de 47 ou 48 ans avec son plus jeune fils, la photo serait faite vers 1862 ou 1863. C’est possible mais la photo me semble plus récente.

Chez les Bouthreuil en génération 2 on ne connait que deux garçons, deux Edouard.

Edouard Bouthreuil (père), le fils de Paul et Hortense né en 1867. Si c’est lui ici, on serait vers 1869 et sa grand-mère Eléonore née Beaumont aurait 72 ans sur la photo. Pourquoi pas, mais je trouve qu’elle a l’air plus jeune. A moins qu’il ne s’agisse de sa mère, Hortense, elle n’aurait alors que 30 ans mais pour le coup cette fois je trouve que la personne photographiée a l’air plus agée.

Autre hypothèse l’enfant s’appelle toujours Edouard mais son nom de famille est Robiquet. C’est le fils de Suzanne Bouthreuil et il est né le 18 octobre 1863 à Brillevast non loin de Cherbourg. Si c’est lui, on serait vers 1865 et sa grand-mère Eléonore n’aurait que 68 ans.

D’où la question ce petit il ressemble plus au jeune homme de la photo page 3 à gauche ci-dessous ou au bébé en page 6 à droite.

Dans tous les cas on a privilégié l’hypothèse que la dame soit une grand-mère. C’est juste que cet album semble avoir une certaine logique de construction: les parents, puis cette page, puis les frères et soeurs puis les oncles et tantes.

Page 2 à droite

Du coup on s’attend à ce que la photo d’en face dans l’album soit celle d’un grand-père.

Ce serait donc soit Edouard Edmond Bouthreuil qui est décédé le 2 décembre 1856 à une époque où le photographe Rideau n’exerçait pas. Mais en regardant cette photo (qui me faisait un peu peur étant enfant), je me demande s’il ne s’agit pas d’une photo d’un tableau d’une personne plutôt que de la personne elle-même. La photo serait faite pour être reproduite en nombre et distribuée.

Ou ce serait Henri Cauderlier, notre héros. En 1860 il a 45 ans. Celà n’est pas très convainquant.

A l’arrivée ces 2 photos gardent leur mystère (pour le moment).

Page 3 à gauche Edouard Bouthreuil (père)

Si Eugène Bernier n’est actif comme photographe que jusqu’en 1880, alors le jeune Edouard a au plus 13 ans sur ce cliché. Ce qui est bien possible. Etait-il dans un collège militaire pour avoir un tel costume ?

Page 3 à droite Suzanne Bouthreuil

Page 4 à gauche

Les deux photos de la page 4 sont clairement celles d’un couple.

D’après nos information sur les photos signées Helios, elles auraient été faites entre 1867 et 1870.

A cette date elles sont probablement celles d’un oncle et d’une tante de la propriétaire de cet album, Marie-Louise Bouthreuil.

Page 4 à droite

Côté maternel c’est à dire Cauderlier, les personnages de ces photos ne ressemblent pas à ceux des photos connues de la fratrie de génération 1.

La seule possibilité serait celle du couple dont nous ne connaissons pas de photos, Stéphanie Corderlier et Jules Auguste Barbanchon, né en 1849 et 1851 et mariés en 1876.

Mais ils sont trop jeunes pour ces photos faites plus de 6 ans avant leur mariage, et alors qu’ils n’auraient pas plus de 20 ans.

Côté paternel c’est à dire Bouthreuil, les couples de cette génération sont plus agés. Nous n’avons que 2 couples dont l’un (le couple Suzanne et Louis Robiquet) a une différence d’age de 24 ans ce qui ne semble pas être le cas ici.

Il ne nous reste donc comme candidats que le couple Estelle Julie Bouthreuil et Alfred Charles Duval, nés en 1832 et 1833, et qui se sont marié en 1863.

Ils auraient sur ces photos entre 34 et 48 ans, ce qui parait plausible.

Page 5 à gauche

On constate tout d’abord que les 2 photos de la page 5 sont celles d’un couple faites le même jour. Le photographe est le même et le décor aussi.

Page 5 à droite

Mais cette fois on reconnais cette dame, c’est Eugénie Cordelier, du coup on identifie que le monsieur sur la photo précédente est celle de Jules Victor Le Barbey.

Page 6 à gauche

En voilà un beau jeune homme romantique comme seul le 19ème siècle savait en faire …

Cette photo est clairement très ancienne du tout début des années 1860.

Pour moi il s’agit de Paul Bouthreuil avant qu’il n’adopte la moustache et une coiffure plus sage.

Un des éléments qui me font penser çà, ce sont ses mains qui sur ce cliché comme sur la première photo sont fortes et longues.

Page 6 à droite

Le photographe Gallot a exercé son art à Cherbourg de 1862 à 1870.

Le monsieur de cette photo semble donc être né au début du 19ème siècle.

On pense au couple Suzanne Albertine Bouthreuil et Louis Robiquet.

Sur la photo, lui n’a pas l’air commode. Louis est percepteur.

Elle aurait 24 ans de moins que lui, ils habitent à Brillevast non loin de Cherbourg et leur petit Edouard Louis est né le 18 octobre 1863.

S’il a un peu plus d’un an nous sommes début 1865, Suzanne a 40 ans et Louis 64.

Pour moi çà tient la route.

Une alternative charmante serait qu’il s’agisse des grands-parents de Marie-Louise, nos héros Henri et Stéphanie Cauderlier venus voir son petit frère Edouard Bouthreuil lorsqu’il avait 1 an donc en 1868 à Sainte-Croix-Hague à deux pas de Cherbourg.

Henri et Stéphanie auraient alors environ 53 ans. C’est ce qui me parait douteux sur la photo.

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La casquette du monsieur, avec son ruban circulaire et la marque de la ligne médiane ressemble beaucoup à celle de la garde mobile nationale qui n’a existé qu’entre 1868 et 1871.

Ce là semble cohérent avec le fait que le photographe Grumeau a exercé à Cherbourg et à Carentan de 1868 à 1878.

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Je trouve que cette dame ressemble beaucoup à celle de la photo de la page 6 à droite.

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Cette mauvaise photo est d’une technique différente, elle n’a pas d’inscription au verso.

Nous avons par ailleurs une autre photo plus ou moins semblable, c’est à dire de mauvaise qualité et représentant ce genre de scène où il est écrit au verso “1909 souvenir de la revue du 14 juillet à Carentan”.

Naissance surprise, rue Echo à Bayeux

Si reconnaitre un adulte sur une vieille photo est déjà une gageure, identifier un bébé est mission impossible.

Ce qui fait que jusque là j’avais plutôt délaissé cette photo de l’album.

Mais voilà qu’en voulant détacher une photo de l’autre côté de l’album pour illustrer un futur article sur les photos des demoiselles Cauderlier, j’ai détaché aussi cette photo-ci.

Berthe Marie Le Gallier, Caen 1881

Pas de chance, ou plutôt si !

Parce qu’au verso, quoi donc ? Une inscription mystérieuse, énigmatique et fascinante …

Mais de qui s’agit-il donc !?.. Le mystère est épais et l’enquête s’annonce rude.

OK la photo n’est pas terrible, mais faut-il rappeler que l’artiste s’appelle Baudelaire, que de peintre il est devenu photographe, vu que personne ne lui a encore jamais parlé de tenter la poésie…

En fait, avec toute les infos écrites au verso, date et lieu de naissance, c’est trop facile de retrouver parmi les 162 naissances de Bayeux en 1881 notre petite Berthe née en mars chez Léopold Cauderlier.

Sur son acte de naissance, on apprend que la maman de la petite Berthe est Adeline Le Gallier née Halley, c’est-à-dire la soeur d’Emelie Halley, la femme de Léopold Cauderlier.

Acte de Naissance de Berthe Marie Le Gallier
30 mars 1881 Rue aux Coqs à Bayeux
chez Léopold et Emelie Cauderlier

On remarque au passage qu’Adeline appelle sa soeur Amélie et non Emélie comme l’état civil.

On voit aussi que Léopold est venu signer l’acte de naissance de sa nièce par alliance.

Du coup on imagine bien la fierté des parents qui habitent à Caen d’envoyer une petite photo de leur enfant âgée de quelques mois à Léopold et Amélie.

Finalement cette petite photo, par l’acte très complet qu’elle nous fait découvrir, nous en apprend pas mal sur la fratrie d’Emélie Halley.

Jusque là nous ne connaissions que la liste des 6 membres de cette fratrie appelés à la succession de leur mère en 1884.

J’ai trouvé ce document aux archives notariales de Caen.

Et on y retrouve bien en 4ème position Adeline épouse Richard Le Gallier, les parents de la petite Berthe.

Fratrie venant à la succession Halley.
Archives départementales du Calvados