Madame Alfred Duval née Estelle Julie Bouthreuil

Acte de décès d’Estelle Julie Bouthreuil veuve Duval.

Etrange rencontre pour moi que celle de Madame Alfred Duval née Estelle Julie Bouthreuil.

Au début des années 1990, Arlette et moi avons visité les archives municipales de la ville de Carentan à la recherche d’actes d’état civil qui se trouvent aujourd’hui en un clic sur internet.

Le hasard – dernière page avant les tables annuelles – nous a fait tomber sur l’acte de décès, le 31 décembre 1917, d’Estelle Julie Bouthreuil veuve Duval. Le nom de Bouthreuil attire mon attention. Les parents d’Estelle sont clairement les mêmes que ceux de notre aïeul Paul Just Bouthreuil.

Faire-part de décès d’Hortense Bouthreuil née Cauderlier

Pour obtenir la copie de l’acte nous en avons fait une photo argentique que nous avons ensuite scannée en noir et blanc au scanner du bureau avant de rapporter précieusement l’image à la maison sur une disquette.

Une vingtaine d’années plus tard nous retrouvons Estelle Julie sur geni ce qui nous permet de déposer le précieux fichier pour documenter la fiche geni.

Puis l’analyse de la sombre fratrie à laquelle elle appartient nous fait retrouver son acte de mariage. Estelle a épousé Alfred Duval qui travaille à l’époque à Paris.

L’analyse des photos de l’album attribué à Marie-Louise Lagouche née Bouthreuil me fait suspecter que l’une d’elles représente Estelle Julie.

Photo possible d’Estelle Julie Bouthreuil.

Mais “Est-ce-t-elle” ? comme dirait l’autre.

En relisant le faire-part de décès de sa belle-soeur Hortense, (qui a épousé son jeune frère Paul Bouthreuil), nous sommes un peu tristes pour elle d’en déduire qu’elle n’a pas eu d’enfant.

Elle y apparait en effet comme Madame veuve Duval, mais aucune mention n’est faite d’enfant ou de petits-enfants, ce qui signifie qu’aucun n’est vivant à cette date en 1912.

Le dernier rebondissement, c’est la découverte aujourd’hui 31 décembre 2020, 103 ans jour pour jour après son décès, dans des vieux papiers Lagouche à Dennemont, de 3 cartes postales adressées à Madame Duval, rue Holgate à Carentan en 1914.

Première carte recto

Ces cartes posent beaucoup de questions.

La première a été envoyée par Charles Lagouche à Madame Duval le 18 décembre 1914 de Bordeaux. Il s’y présente lui-même très élégant et conduisant un cabriolet. Quel style !

Première carte verso
De ce que j’en comprends nous avons ici :
Germaine, Irma, Marie-Louise et Suzanne

Les deux autres cartes ont des tirages photographiques de mauvaise qualité qui ont mal supporté les années. Les photos sont très pâles, peu contrastées et jaunies. Heureusement une fois numérisées on peut améliorer les choses.

Sur l’une on distingue 4 femmes dans une forêt en hiver, vêtues de fourrures, à la date du 8 mars 1914.

Au verso seulement l’adresse “Madame Duval à Carentan Manche”.

Suzanne Lagouche et la jeune Germaine dont on ne sait rien, sauf ses mensurations ….

Sur la dernière ne figurent que les deux plus jeunes femmes dans cette même forêt habillées tout pareillement. La jeune fille s’est hissée à la hauteur de son ainée. Cette fois la carte est rédigée, et a été postée. On y lit :

“Mercredi 20 mars. Chère Madame Duval, Pour vous montrer que Germaine est grande, la voici à côté de Melle Suzanne elle est presque de sa taille. Elle pèse 40 K. mesure 1m49 et chausse du 36 c’est vous dire qu’elle n’est pas dans les petites. A un de ces jours une longue lettre ( un temps épouvantable à Paris ). Yeux toujours en mauvais état. Il faut de la patience. Bons baisers Irma”

Je n’ai aucune idée de qui sont Irma et Germaine.

Carte envoyée à Madame Duval

Mais ces cartes, comment sont-elles arrivées jusqu’à moi ?

Deux de ces cartes postales sont affranchies et oblitérées, adressées Rue Holgate à Carentan. Il est donc certain qu’elles y sont arrivées et y ont séjourné. Elles ont été tenues en main et lues par Estelle Julie qui les a soigneusement rangées dans ses affaires.

Mais à la mort d’Estelle, rue Holgate à Carentan ce 31 décembre 1917, qui reste-t-il dans cette famille pour s’occuper des vieilles cartes restées là ?

Des neveux et nièces.

Il reste, les enfants de Paul :
– Marie-Louise, mon arrière grand-mère alors veuve, réfugiée à Auvers avec ses 4 enfants,
– sa soeur Suzanne, la directrice de l’institution Notre-Dame
– son frère Edouard, Berthe, l’épouse de celui-ci, et leurs 3 enfants, qui vivent à Bréhal.

Il reste aussi possiblement un autre neveu, s’il est toujours vivant, il s’appellerait Edouard Louis Robiquet ; c’est le fils de Virginie, la seule soeur d’Estelle qui a eu un enfant.

Alors il est bien possible qu’il soit revenu à Marie-Louise et Suzanne, parce que ce sont des femmes et qu’elles habitaient à côté, la lourde tâche de s’occuper des affaires d’Estelle.

Dans ce cas les cartes sont passées de Carentan à Auvers pour rentrer ensuite à Paris, où elles ont été prises en charge par ma grand-mère Suzanne ou son frère Charles Lagouche pour atterrir à Dennemont.

Mais alors il y a peut-être d’autres documents venant d’Estelle au même endroit …

Joli voyage en attendant pour ces petites cartes.

Bonne année 2021.

Timides éloges immérités consolent de bien des critiques injustifiées (Charles Lagouche 1937)

Charles Lagouche ne s’est pas marié et n’a pas eu d’enfant mais il a laissé de nombreux souvenirs dans la famille.

Les souvenirs qu’il a construits en tant que photographe de notre histoire familiale tels les précieux clichés des années passées au château d’Auvers,

mais aussi les souvenirs de sa personne et de sa vie dont le plus marquant pour ses contemporains était son rôle comme responsable du ravitaillement du Tour de France.

Contrôle de ravitaillement du Tour de France à Béziers
Charles Lagouche et sa louche près à remplir les bidons.
Ravitaillement du Tour de France à Labouheyre

Il faut dire que même si cette fonction n’était pas supposée être remplie à titre professionnel c’est elle qui le définissait le plus intensément aux yeux des autres.

Et ce n’est pas Eveline et moi qui allons dire le contraire car même si nous n’avons pas connu l’oncle Charles, nous avons passé nos vacances d’enfants dans sa maison de campagne à Dennemont au milieu des musettes en tissu jaune, des bidons en aluminium avec bouchons en liège tenus par des ficelles, des feuilles de papier sulfurisé marquées Nestlé en diagonale et des boites d’Ovomaltine périmées.

Charles Lagouche a été aux manettes du ravitaillement du Tour de France pendant environ 35 ans ! de 1919 au milieu des années 50.

Pas une seconde à perdre…

Et comme chaque année il restait des quantités de matériel périmé, impropre à l’usage les années suivantes, nous avions là une source inépuisable de matières premières : tissu, métal, liège, ficelle, papier, de quoi confectionner toutes sortes de jouets.

En 1952, à l’apogée de sa carrière, Charles Lagouche confie à la presse helvétique quelques données chiffrées sur les volumes en jeu lors d’un Tour de France :

M. Lagouche dispose d’un personnel de 8 hommes et sa tâche est lourde, car pendant la durée de l’épreuve il faut préparer plus de 4700 musettes et environ 9500 bidons. Ces derniers sont remplis par les coureurs qui, parmi différentes bassines, peuvent choisir leur boisson préférée, soit café, thé, bière, citronnade ou eau additionnée d’alcool de menthe. Quelques coureurs émiettaient de la glace dans leur bidon l’enveloppant ensuite pour le tenir plus au frais.

Source : La Gazette de Lausanne 5 et 6 juillet 1952
“Merci au roi des ravitailleurs en toute amitié” René Bernard cycliste

Charles Lagouche appréciait visiblement ce travail, le contact avec les coureurs mais aussi avec les restaurateurs locaux auprès desquels il a su forger en trois décennies des rapports amicaux. Le changement permanent de résidence n’était pas non plus pour lui déplaire.

Au point que si durant les années 20 et jusqu’en 1935, Charles est clairement garagiste à Paris où il possède un garage au 17 rue de Clignancourt, on peut se demander s’il ne s’est pas consacré beaucoup plus intensément voire exclusivement au ravitaillement des courses cyclistes après avoir vendu son garage parisien en mars 1935.

On trouve notamment un article intitulé “Le menu du coureur en course” dans l’Ouest-Eclair du 29 août 1935 qui va dans ce sens et nous révèle que

Charles Lagouche assis sur les caisses du ravitaillement du Tour de France devant l’entrée de la Villa Rose-Marguerite à Ax-Les-Thermes

M. Machurey, en collaboration avec MM. Lagouche, Mauranne et Bonnefoy, organisent un service de ravitaillement ; cette équipe est pour ainsi dire spécialisée dans le ravitaillement des coureurs et on la trouve dans toutes les grandes épreuves officielles : le Tour de France, le Wolber, Paris-Nice, Paris-Bruxelles, etc… Nos trois ravitailleurs, qui aiment leur métier, ont acquis, au cours de leurs nombreuses années de pratique, une expérience qu’ils ont su mettre à profit ; aussi sont-ils parvenus à composer une musette standard qui est aussi une musette rationnelle composée selon les besoins du coureur.”

Il existe de nombreux articles en marge des articles sportifs pour vanter les mérites des ravitailleurs.

Mais c’est dans l’article ci-dessous que l’on entre le plus dans le récit du stress du ravitailleur en chef …

Extrait du journal Paris Soir (1923) du 20 juillet 1937. Une description du travail de Charles Lagouche comme responsable du ravitaillement du Tour de France.

et même tout à la fin dans la philosophie de l’oncle Charles.